***

*

406

*

CHAMBRE DE CATHY
Tom vient d'embrasser Cathy. Elle s'est un peu éloignée, surprise par ce geste inattendu.

CATHY-Tu as bu ?
TOM-Non.
CATHY-Je...
TOM-Tu ne m'engueule pas.
CATHY-Non.
TOM-Alors pourquoi tu t'éloignes.
CATHY(changeant de sujet)-J'ai vu Will aujourd'hui.
TOM-Le rapport ?
CATHY-Il va pas très bien.

Elle fait mine de ranger une pièce parfaitement propre.

TOM-Je vois.
CATHY-Tu vois quoi ?
TOM-Tu te sens mal vis à vis de lui et de moi.
CATHY-Non, qu'est-ce que tu racontes.
TOM-Cath' arrête de ranger du vide. Regarde-moi.

Son regard ne veut pas croiser le sien.

CATHY-C'est de ma faute s'il a terminé en prison.
TOM-Quoi ?
CATHY-Il me voit partout. Il m'a vu partout... et chez cette fille.
TOM-Bon, après tout je veux pas savoir son problème, ça reste entre lui et toi... et même Mallory. Mais... si on parlait de...
CATHY-Tom, c'est délicat.
TOM-Je sais... j'ai pas réfléchi longtemps...
CATHY-Ah bon...
TOM-Enfin, je sais pas si c'est la meilleure solution.
CATHY-Merci.
TOM-Je voulais exorciser un démon entêtant.
CATHY-Vous ne m'avez pas répondu Laura et toi. Vous étiez ensemble ? C'est ça ton démon ?
TOM-Oui.
CATHY-Bah alors, pourquoi tu es là ? Tu vivais ton rêve.
TOM-Justement... ce n'est qu'un rêve... Si je suis là devant toi c'est que je ne veux pas revivre un cauchemar.
CATHY-Pardon ? Tu vis dans tes illusions et...
TOM-Ce n’est qu’illusion et donc... désillusion…
CATHY-Tu me donnes mal à la tête. Alors tu viens, tu m'embrasses, tout ça pour ne pas retomber amoureux de Laura ?

Il ne répond pas. Cathy est nerveuse.

CATHY-Putain, vous en avez pas marre que je joue la solution de secours ? Merde !
TOM-Attend, j'ai rien à voir avec Fish. J'ai...
CATHY-Tom qui m'embrasse, il manquait plus que ça.
TOM-Tu aurais pu me repousser.
CATHY-Ai-je eu le temps de réagir ?
TOM-Tu aurais pu me gifler.
CATHY-Quand même pas.
TOM-Bon...
CATHY-Je sais ce que tu vas dire.
TOM-Ah...
CATHY-Et maintenant ?

*

*SoU 406*

A moitié pardonner

« Pour le libre et change »

*

APPARTEMENT D'ELINA

Elle arrive en trombe chez elle, referme la porte, enlève son manteau, ses chaussures et file dans la salle de bains.
Elle se démaquille aussi vite qu'elle peut et se décoiffe un petit peu. On sonne à la porte.
Elle se calme et, d'un pas lent, va ouvrir. C'est Marion. Elle pousse Elina avec son sac à main.

MARION-Ca fait du bien de sentir aimée par des gens !
ELINA-Tu as des noms ?
MARION-J’ai vu Cathy, je t’en ai déjà parlé. Ca fait du bien de causer entre filles.
ELINA-Ok…
MARION-Eli ?
ELINA-Oui ?
MARION-Depuis quand tu te coiffes qu’à moitié ?

La jeune fille vérifie sa coiffure. Elle s’est bien décoiffée sauf une petite partie bien lisse.

ELINA-J’étais justement en train de le faire tu vois. J’ai envie de sortir ce soir !
MARION-Quoi ? T’es folle, je reste ici.
ELINA-C’est vrai... j’ai assez bu.
MARION-Quoi ?
ELINA-Rien…
MARION-Tu es bien gentille de m’accueillir ici mais je dois vraiment trouver une solution avant la fin de l’été. On a les résultats des exams dans deux jours et… ce sera les deux seuls jours que je passerai chez toi.
ELINA-Tu crois vraiment ?
MARION-Il n’y a pas de hasard. J’ai bien réfléchi… je dois passer l’été avec Doug pour le bien de notre couple et puis j’aimerai profiter de mes dernières semaines de… de jeune étudiante ! Peut-être que je serai caissière ou secrétaire, j’en sais rien mais à la rentrée prochaine, je serai entrée dans ce qui fait le plus peur… la vie active !
ELINA-Tu me ferais presque pleurer.
MARION-Tu me ferais presque penser à une mère qui voit sa fille partir de ses propres ailes.
ELINA-A vrai dire notre amitié s’est soudainement développer en si peu de temps…
MARION-Mais tu as vu le prétexte ?
ELINA-Oui…
MARION-Il se fait faim…
ELINA-Je vais te préparer quelque chose.

STATION SERVICE
Lorraine attend dans la voiture. Fish apparait par la vitre et lui sourit. Il remet de l’essence. Lorraine patiente. Il monte enfin dans la voiture.
FISH-Pourquoi tu souris ?
LORRAINE-Oh je pensais à toutes ces fois où dans les films on voit les personnages partir sur un coup de tête… on les voit tout de suite après dans la voiture qui fonce… et nous on est là à la station…
FISH-Tu veux une voiture qui fonce ?
LORRAINE-Je te rappelle que tu as volé cette de ton demi-frère quand même.
FISH-Tu crois qu’il appréciera ?

APPARTEMENT DE FISH
Mallory entre en trombe dans l’appartement, il regarde partout, il ne voit personne et constate qu’il n’y a pas plus les clés de sa voiture. Il voit le petit mot laissé par Fish.
MALLORY-L’enfoiré…

 

APPARTEMENT DE CATHY
Cathy est assise, Tom est toujours sur le pas de la porte.
CATHY-Bon, rentre, reste pas comme ça.
TOM-Je vais plutôt partir.
CATHY-Fais ce que tu veux, après tout…
TOM-Encore désolé…
CATHY-S’il suffisait de s’excuser…
TOM-J’ai le droit d’essayer de… non j’aurai pas du dire ça…
CATHY-Tu ne sais pas t’expliquer, tu ne sais jamais. Tu agis comme un gosse. Putain, j’ai joué à ton jeu de fausse mort à la con, j’en peux plus.
TOM-Ok… je vois que tu dis ce que tu as vraiment sur le cœur… ça veut quand même dire que tu faisais ça juste pour moi…
CATHY-Mais non…
TOM-Je comprends.
CATHY-Non, ce que je veux dire c’est que… tu n’as pas changé d’un pouce. Tu as beau…
TOM-C’est pas que j’aurai du changé… mais j’aurais voulu changer… mais finalement on est toujours obligé de revenir à ce qu’on a toujours été… à moins d’un choc émotionnel violent, je vois pas… Il n’y a pas de hasard… je dois être comme ça.
CATHY-Pourtant tu m’as assez seriné avec ton histoire avec Sam…
TOM-Ca a été un déclencheur oui… mais c’était dans la mauvaise période, et c’est dur de s’en sortir après… je pensais… sincèrement que… avec toi ça aurait pu… changer la donne.
CATHY-Sais-tu ce qu’est l’amour Thomas ? Tu as déjà été amoureux ? Et je ne parle pas de Laura, on sait très bien, elle la première, que ce n’est pas de l’amour.
TOM-Et si c’est ce qu’il me suffisait ? Et si toi, tu étais la bonne ?
CATHy-Me force pas à te donner une réponse.
TOM-C’est pas une réponse que je veux, je ne t’ai posé aucune question. J’ai agi… j’attends que tu agisses en retour.
CATHY-Comment je vais faire maintenant pour te regarder comme avant ?
TOM-Considére-moi comme tu ‘las toujours fait, un gosse qui sait pas ce qu’il veut.
CATHY-Tu l’es, tu sais.
TOM-Je le sais… je ne dis pas ça pour faire mon Caliméro. Mais j’aime qu’on me considère… même si c’est comme un moins que rien.
CATHY-Je… j’ai envie de t’embrasser mais pas parce que j’éprouve quelque chose. Ça nous ferait du mal à tous les deux.
TOM-Mais le fait que tu le dises, ça peut faire encore plus de mal tu sais.
CATHY-Je n’ai plus envie de me poser dix mille questions. On doit rester amis et rien d’autres. Je crois que j’ai juste envie de faire des choses car je te considère vraiment comme quelqu’un qui doit rester un ami… car tu en es un… et un très bon. Et je pense que l’amitié a du mal à se démarquer de l’amour quand on est dans notre état actuel.
TOM-On pourrait juste coucher ensemble et…
CATHY(le coupant)-Tom…
TOM(souriant)-Je vais aller prendre l’air.
CATHY-Ok…
TOM-Je peux te prendre dans mes bras ?
CATHY-Ce serait bien la première fois.
TOM-La seule et unique fois.

Elle sourit mais écarte ses bras. Tom avance et une petite étreinte suit.

TOM-Je t’adore tu sais.
CATHY-Moi aussi… mais plus de ça ok ?

Tom ne répond pas. Cathy l’entend simplement soupirer.

 

APPARTEMENT D’ELINA
Marion a du mal à terminer son assiette. Elina la regarde.
ELINA-Je sais que je ne suis pas bonne cuisinière mais delà à faire cette tête de loutre malfamée.
MARION-Oh désolé, je… je suis très pensive. J’ai besoin de m’aérer la tête en fait.
ELINA-Tu me parles toujours de Cathy, tu ne veux pas l’inviter demain midi ?
MARION-Tu ferais ça ? Merci…
ELINA-Au moins après je serai débarrassée de toi !

Marion attrape une feuille de salade et lui balance à la tête.

ELINA-Tu vas appeler Doug ce soir ?
MARION-Je vais le laisser gamberger. Chacun de notre côté, je pense qu’on va bien trouver des solutions.
ELINA-C’est pas des solutions qu’il faut, c’est une entente. Et c’est pas lui qui pourra te dire où est ton avenir.
MARION-Je trouverai surement une réponse dans une glace.
ELINA-Tu sais trouver les bonnes réponses toi…

Elle se lève et va vers son congélateur quand on frappe à sa porte.

ELINA-J’y vais…

Elle se dirige vers la porte, l’ouvre et referme tout de suite. Doug est derrière. Marion n’a rien vu. Elina décide de sortir rapidement. Elle ouvre, va dans le couloir, pousse Doug et referme aussitôt.

DOUG-Qu’est-ce qui te prend ?
ELINA-Qu’est-ce que tu fous là ?
DOUG-Pourquoi tu parles tout bas ? Je te dérange ?
ELINA-Oui j’ai du monde à la maison.
DOUG-Désolé. Je… je voulais juste venir te voir.
ELINA-Si c’est juste pour ça.
DOUG-Quoi ?
ELINA-Rien. Bon tu peux pas entrer.
DOUG-On se voit plus tard ?
ELINA-Doug, écoute… c’est pas le bon moment pour tout ça, c’est moi qui t’appellerai.

A ce moment, Marion s’approche de la porte.

MARION-Ca va ?

De l’autre côté, Doug n’a pas reconnu la voix.

ELINA-Oui, t’inquiète pas.

Elle fait mine à Doug de déguerpir. Elle rentre dans son appart.

ELINA-C’était un copain.
MARION-Fais le entrer.
ELINA-Non il est parti, c’est bon.

RUE
Tom marche tranquillement, des pensées plein la tête. Son portable sonne. C’est Laura. Il ne décroche pas.
TOM-(voix off)-Non, ne te fais pas plaisir, et surtout ne lui fait pas plaisir.

 

ROUTE
La voiture mange les kilomètres de bitume. Lorraine a la fenêtre ouverte, il fait assez bon pour profiter du vent frais qui fouette son visage. Elle ferme les yeux. Cary Brothers accompagne le bruit du moteur.
Fish regarde sa passagère un instant, sourit et repose ses yeux sur la route infinie.
Un panneau indique « St Amson » vous souhaite une bonne route».

APPARTEMENT D’ELINA
On sonne à nouveau à la porte.

MARION-J’y vais si tu veux.
ELINA-C’est bon, je vais régler ça.

Doug voit apparaitre Elina énervée.

ELINA-Je t’ai dit quoi ?
DOUG-Vous êtes juste deux ?
ELINA-Qu’est-ce que ça peut te faire !?
DOUG-T’es de mauvais poil ? J’ai mal agi ce soir ?
ELINA-Je crois que… effectivement, tu dois réfléchir à ce que tu as fait.

Elle revient dans son appartement. Par chance un petit couloir permet d’isoler un peu les « bruits » de couloir de ceux du salon. Ni Marion, ni Doug n’auront reconnu l’autre.

MARION-Tu sembles nerveuse, il te harcèle ?
ELINA-On peut dire ça. Mais t’occupe.
MARION-C’est toujours le meilleur moment dans un couple… quand on se tourne autour. Quand ça devient vrai, quand c’est concret, ça n’a pas la même saveur excitante.
ELINA-Je suis d’accord avec toi…

Elina découvre peut-être que la folie passagère qui l’a poussé à mal agir se révèle un choix plus que discutable.

A l’extérieur de l’immeuble, Doug revient dans sa voiture. Il sort son téléphone. Il compose un numéro.
Celui de Tom sonne. Surpris de prime abord, il répond.

TOM-Doug Colski ? Ma parole…
DOUG-Salut, comment va ?
TOM-On fait aller, tu deviens quoi ? T’es sur St Amson ?
DOUG-Euh… non, en fait je t’appelais pour savoir si tu avais vu Marion ?
TOM-Pas depuis quelques temps non.
DOUG-On est un peu en froid tous les deux. Tu sais rien d’autre ?
TOM-Non, tu me l’apprends là.
DOUG-Ok…
TOM-Je sais que c’est dur pour elle en ce moment. Elle a besoin de toi j’en suis sûr.
DOUG-Oui mais je bosse… elle a raté son année, elle est dehors…
TOM-Viens nous voir un week-end, t’as rien à faire non ? On te voit jamais.
DOUG-C’est vrai…
TOM-Crois-moi, même si on est toujours étudiants, on est encore intéressants.
DOUG-Je pense bien. C’est plutôt qui risque de ne plus l’être.
TOM-Oh tu ne l’es plus depuis un bail, tu sais.
DOUG-Salop… et les amours alors ?
TOM-M’en parle pas, je me demande comment vous faites pour rester ensemble quand on voit qu’un mec c’est aussi compliqué qu’une fille en fait… Désolé j’aurai pas du dire ça.
DOUG-Pas grave… ça tombe c’est peut-être la fin oui…
TOM-Nan, vous faites partis des meubles ce serait dur de plus vous voir… enfin tu me diras, on vous voit pas si souvent… Marion a presque pris ta place vacante. Moi ça me dérange pas.
DOUG-Tu sais où elle est ? Non je pense bien.
TOM-Aucune info.
DOUG-Je crois bien qu’on va prendre un appart à Barnett et commencer une nouvelle vie.
TOM-Je dois vous féliciter ou alors c’est un fardeau pour toi ?
DOUG-Je ne parlais pas de Marion et de moi en tant que couple.
TOM-Oh…
DOUG-Non j’ai mûrement réfléchi, ça va faire un an que je gagne mon blé avec ce boulot. Je ne m’investis pas à fond dans mon couple… et puis, tu sais, les collègues…
TOM-La distance vous a tué.
DOUG-Les villes de fou, c’est pas pour moi.
TOM-Même moi je me sens bien ici.
DOUG-Ceci explique cela…
TOM-Doug, je sais pas grand-chose sur vous mais je sais que tu comptes pour elle. Elle a besoin de toi. Tu la déçois.
DOUG-Ceci explique donc cela… Ecoute, ce n’est pas que tes conseils sont mauvais mais… tu me feras pas changer d’avis.
TOM-Très bien…
DOUG-Si tu la vois par hasard, dis-lui que je l’appellerai demain pour les résultats des exams. Pour l’instant, je la laisse tranquille.
TOM-Ok…

Il raccroche. Tom pose son regard sur le téléphone un instant puis, dans le vague, se met à réfléchir.

TOM(voix off)-Je ne vois personne par hasard… Je savais que mes conseils n’étaient jamais très suivis mais l’entendre dire par quelqu’un dans une discussion assez sérieuse, ça prend une allure assez déconcertante. Si je faisais trop d’histoires, les autres penseraient toujours que j’en sais finalement pas plus qu’eux.

*

Le lendemain matin est doux, le soleil déjà fort et la ville prend peu à peu son allure de fourmilière. Chez certains, la journée vient à peine de commencer.

Elina est paisiblement dans son lit. Elle ouvre un œil, voit l’heure et se retourne en bougonnant. Son regard croise celui de Marion, assis en face d’elle. Elle sursaute à la phrase de Marion.

MARION-Il est 11 heures, debout.
ELINA-Tu es debout depuis quelle heure ?
MARION-Depuis que tu m’as poussé du lit vers 8 heures.
ELINA-Désolée…
MARION-Allez, j’ai besoin d’aide…

Moins de dix minutes plus tard, Elina arrive dans sa cuisine et voit quelques sacs de courses sur la table et Marion qui tente de cuisiner.

ELINA-T’as fait quoi ?
MARION-J’ai eu le temps de piquer tes clés, faire les courses, revenir, tenter de ranger -pas tout car c’est quand même tes placards- commencer à sortir quelques plats et à commencer à mixer le tout.
ELINA-Bien…
MARION-Cathy arrive un peu après midi.
ELINA-Quoi ?
MARION-Tu as oublié qu’elle venait ?
ELINA-C’est pas ça mais tu as oublié que je mettais une heure pour me préparer.
MARION-Reste comme tu es.
ELINA-Pour être la moche des trois ?
MARION-Je te donne 45 minutes !
ELINA-Pari tenu !

 

CHAMBRE DE LAURA
Un rayon de soleil éblouit le visage de Laura mais elle ne bronche pas. Elle sait qu’elle préfère restée les yeux fermés sous le soleil plutôt que de se lever, l’esprit embrumé. Le réveil est long mais moins douloureux. D’ailleurs, à un jour des résultats, elle se demande ce qu’elle pourrait bien faire pour tuer les prochaines 24 heures.
Cette idée envahit soudainement son esprit et impossible de s’en défaire. Bizarrement, rapidement, inopinément, elle n’a plus les yeux fermés. Une sorte de boule se forme dans son ventre comme si un évènement devait, allait arriver aujourd’hui. Pourtant il n’en est rien, ce serait plutôt demain qu’il faudrait ressentir ça. Elle se redresse sur son lit, passe ses mains sur son visage. Elle regarde par la fenêtre, ne voit rien si ce n’est son rideau froissé, elle glisse lentement son regard vers son mur criblé de cartes postales dont une qui retire son attention. Le soleil, la mer, le mot vacances en lettres rouges, ce mini spectacle dérobe aux examens, aux résultats et au diplôme les pensées de la jeune fille.
Un petit hôtel comme on pourrait en voir dans les films à la différence qu’il n’est pas miteux, ni abandonné sur une longue route. Fish se redresse sur son siège passager. Il entend quelques mots provenant d’une voix masculine. A peine a-t-il le temps de savoir qu’ils proviennent de sa droite que la personne disparait. Lorraine venait d’échanger quelques paroles.

FISH-C’était qui ?
LORRAINE-Un flic, il voulait qu’on déguerpisse de là.
FISH-On a dormi là ?
LORRAINE-Mon pauvre, tu as la tête dans le cul.
FISH-Il a rien dit ? Rien donné ?
LORRAINE-J’ai eu quelques arguments…
FISH-Tu plaisantes ?
LORRAINE-Will, il m’a réveillé, je n’ai pas eu le temps de me brosser les dents…
FISH-Oui m’enfin… ça répond pas à ma question.
LORRAINE-Je peux avoir un dialogue normal avec quelqu’un, notamment un policier.
FISH-Ok… On est où ?
LORRAINE-J’ai pris le volant à 1 heure mais je dois dire que j’ai pas tenu plus d’une heure.
FISH-On est où ?
LORRAINE-Aucune idée, j’ai suivi ton exemple, je suis allé tout droit.
FISH-Je connais cet hôtel.
LORRAINE-Et c’est moi la trainée ?
FISH(regardant la façade)-Non attend…

Il sort de la voiture, regardant toujours la façade de l’hôtel. Il avance jusqu’à toucher le mur de sa main. Lorraine sort doucement de la voiture, elle regarde son ami avec crainte.

LORRAINE-Tu vas bien ?
FISH-Je connais ce…

Il se retourne brusquement vers Lorraine.

FISH-J’étais là il y a dix ans… avec mon père.
LORRAINE-Tu rigoles…
FISH-Il voulait me montrer du pays… on est monté dans sa voiture, elle n’a pas tenu le choc et on s’est arrêté ici…

Il montre l’endroit exact où il était il y a dix ans.

FISH-Et tu vois le garage là-bas ?

Lorraine suit le doigt tendu de Fish.

FISH-La voiture est morte à cet endroit… on nous l’a repris pour 800 peut-être plus… on est reparti en bus. Ma mère était furax quand on est rentré.
LORRAINE-Tu vas pas me faire gober cette histoire…
FISH-Je t’assure…
LORRAINE-On se croirait dans un mauvais téléfilm du dimanche.
FISH-Attends voir…

Il se dirige vers le garage et découvre avec soulagement une casse de voitures.

FISH-Je te la retrouve.
LORRAINE-Will, no…

Il est déjà parti vers le cimetière de ferraille.

 

CHAMBRE DE LAURA
Des affaires trainent par terre, la chaine HIFI laisse entendre un semblant de paroles derrière des guitares assourdissantes. Elle doit être l’une des seules à écouter du Andrew WK. Un sac est posé sur le lit, quelques affaires viennent mourir dessus.

 

CHAMBRE DE TOM
La pièce est sombre. La dernière fois que les volets étaient fermées c’était quand Tom voulait le noir complet pour une sieste crapuleuse. Le téléphone le sort d’un quelconque rêve. Il répond machinalement.

LAURA-Bonjour !
TOM(voix off)-Laura ! (au téléphone) Bonjour…
LAURA-Je te réveille ?
TOM-Euh… non, enfin oui, peut-être.
LAURA-Tu fais quoi aujourd’hui ?
TOM-Euh je suis…
LAURA-Tu fais rien, bien, tu m’accompagnes ?
TOM-Où ça ?
LAURA-Je pars en vacances.
TOM-Quoi ?
LAURA-Bon rendez-vous tout à l’heure devant chez moi. Sois réveillé.

Elle raccroche.

Tom garde son téléphone collé à l’oreille en se demandant ce qu’il se passe. Sa tête retombe sur l’oreiller.

 

APPARTEMENT D’ELINA

Elina se présente enfin devant Marion.

MARION-Merde tu avais raison, 45 minutes c’est vraiment trop court pour te faire une tête potable.
ELINA-Pétasse…
MARION-Bon, elle ne va pas tarder… Tu veux un rapide briefing ?
ELINA-Ce que je sais d’elle : brune, mignonne, jeune, bosseuse, marrante à ses heures, fille modèle… En gros je dois m’attendre à une fille fade et sans saveur.
MARION-Ne recommence pas, c’est idiot de dire ça. Tu dirais quoi de moi ?
ELINA-Ce que je sais de toi.
MARION-Et c’est moi la pétasse ?
ELINA-La compétition entre filles est toujours vivante.
MARION-J’invite Doug ?
ELINA-NON ! (se calmant) Enfin non dis pas de bêtises.

EXTERIEUR
Le soleil tape fort. Tom est assis à l’ombre d’un mur qui soutient un bâtiment de grande envergure. Il croise souvent des étudiants qui terminent leurs derniers examens voire qui tentent de garder un dernier souvenir de cet endroit qui les a suivis pendant quelques années.

TOM(voix off)-Pas de hasard, mais des coïncidences… c’est maintenant ou jamais. D’un côté, Cathy, amie depuis toujours, mignonne depuis peu… depuis que tu as ouvert les yeux, accessible, qui te saisit au moins autant que toi-même. De l’autre, Laura, amie depuis toujours, mignonne depuis toujours, inaccessible sauf peut-être… qui te saisit plus que toi-même… Et si tu les oubliais toutes les deux… Et si tu ne t’acharnais plus… Et si tu retentais avec Cathy… et si Laura te faisait tourner en bourrique… et si elles se posaient les mêmes questions que moi ? Sois égoïste encore une fois. Fonce !

Il se lève soudainement et va ouvrir la porte qui mène en fait à l’immeuble où habite Laura. Son choix était presque prémédité. En tournant à peine la tête, le pied touchant déjà le carrelage de l’intérieur de l’immeuble, il remarque une silhouette familière au loin. Laura venait de sortir.

TOM-Laura ? (voix off) Idiot, va la rejoindre.

Deux, trois pas de course et il la rejoint. Elle porte un grand sac à dos… et un bandana qui retient ses cheveux.

TOM-J’ai failli te louper.
LAURA-J’ai failli ne pas t’attendre.
TOM-Je vois ça… tu pars où ?
LAURA-J’ai… décidé d’avancer mon départ en vacances.
TOM-Les résultats sont demain.
LAURA-Je le sais. Ca ne changera pas grand-chose. Je le saurai en rentrant… ou on m’appellera. Je fais confiance à Cathy sur ce coup. Je reviens dans un mois et demi, ça me fera tout drôle de voir un campus vide.
TOM-Tu pars où ?
LAURA-Cathy t’en a pas parlé ?
TOM-Rapidement mais… elle vient pas ? Tu pars où ?
LAURA-Elle me rejoindra… toi aussi ?
TOM-Euh… pourquoi pas, c’est gentil de penser à moi.
LAURA-J’ai beaucoup pensé à toi ces derniers temps.
TOM(voix off) On arrête tout, pause, je vis un rêve ? Je vais me réveiller et je serai dans mon lit ou… arrête de parler, tu ne peux pas stopper le temps, tu es là comme un con sans répondre !
LAURA-Allô ?
TOM-Euh oui, euh… en quel honneur, enfin pourquoi ? Je… Pourquoi ?
LAURA-On a passé pas mal de temps ensemble non ?
TOM-Oui c’est vrai… enfin plus que d’habitude.
LAURA-Tu veux m’accompagner jusqu’à la gare ?
TOM-Je voudrais bien t’emmener dans mon cabriolet mais j’ai du le laisser au garage.
LAURA-L’excuse facile.
TOM-Je te suis.
LAURA-Alors comme ça tu voulais me voir ?
TOM-Euh…

Le téléphone de Tom intervient pour la troisième fois. Le hasard veut que ce soit Cathy.

CATHY-Allo !
TOM-Tiens salut !
CATHY-Je te dérange pas ?
TOM-Penses-tu je suis jamais occupé.

Laura demande qui c’est sans émettre un son. Tom ne répond pas.

CATHY-Demain on s’organise pour les résultats ?
TOM-Tu y seras sûrement à la première heure, tu me réveilleras.
CATHY-J’ai l’impression que je te dérange… tu penses encore à hier ?
TOM-Oui, enfin non. Non pas du tout.
CATHY-Tu sais, c’est une erreur de parcours, on va oublier ça vite fait.
TOM-Tu as raison… Oui il vaut mieux… On en a vu des pires.
CATHY-Tu es où ?
TOM-Je… (résigné) Je suis avec Laura.

Il sait qu’il vient peut-être de gaffer. Laura, voyant sa tête, le frappe à l’épaule.
A l’autre bout du fil, Cathy semble mécontente, limite trahie, vexée.

CATHY-Ok, je vois… Tu lui passeras le bonjour… bon je vais… non après tout, j’ai rien à te dire. Salut.

Elle raccroche. Tom est embarrassé.

LAURA-Alors ?
TOM-C’était… (voix off) Ne dis rien. (à Laura) Un mec de ma promo…
LAURA-Un bon pote ?
TOM-Je sais pas, je le connais pas…
LAURA-Thomas et les autres…
TOM-Tu sais à la fac, on ne connait pas trop les gens qui sont dans le même bateau que nous.
LAURA-Tom, l’année prochaine, je risque de ne pas être là.

FOURRIERE
William tourne autour d’une sculpture métallique. Il n’a toujours pas trouvé la voiture de son père parmi les dizaines de carcasses qui sont là depuis plusieurs années.

LORRAINE-Will, ça y est, tu as fini ?
FISH-J’y suis presque.
LORRAINE-Will !
FISH-Quoi ?
LORRAINE-Il n’y a rien ici… C’était il y a dix ans ! Regarde autour de toi…
FISH-Pourquoi il l’aurait enlevé…
LORRAINE-Will… et même si tu la retrouvais… ça ne t’apporterait que des… J’ai voulu retrouver un vieux cahier de maternelle une fois… j’ai fouillé mon grenier, j’ai réussi à le trouver. Et là j’ai vu que j’étais nulle… j’étais déjà une moins que rien. Ça ne fait pas du bien, ça ne ravive pas les meilleurs souvenirs. La plupart du temps, ça t’attriste plutôt qu’autre chose. Tu constates que le temps est passé, oui, mais que ce que tu étais avant… est soit parti, et là tu deviens nostalgique, soit préservé mais tu sais alors que tu as toujours été un raté.
FISH-Tu dis n’importe quoi. Quand tu veux retrouver quelque chose c’est toujours pour te faire du bien !
LORRAINE-Will, je ne veux plus que tu regardes ton passé. Tu m’as promis une balade, je veux cette balade. La route la plus importante c’est celle qui te reste à parcourir, pas celle que tu as faite.

A ces mots, Fish se résigne à chercher et rejoint Lorraine. Le garagiste pointe son nez, un chiffon à la main, il les voit partir.

 

APPARTEMENT D’ELINA
On sonne à la porte, Marion ouvre et accueille Cathy comme il se doit. Elina est derrière, en retrait, un peu timide. Elle fait un grand sourire pour saluer l’invitée. Cathy est un peu énervée.

MARION-Tu es sortie du boulot, détends-toi !
ELINA-Salut !
CATHY-Elina, enchantée.
ELINA-Ravie de faire enfin la connaissance de la célèbre Cathy.
CATHY-J’ai peur d’un coup.
MARION-Je n’ai rien dit de ton passé de stripteaseuse.
CATHY-Je n’ai plus peur alors.

Le repas est maintenant bien entamé. Les filles rigolent ensemble. Elina trouve Cathy à son goût, elle s’extravertie de plus en plus. Cathy semble passer un bon moment.

CATHY-C’est à tes risques et périls.
MARION-C’est le genre de garçons qui n’est pas invisible.
ELINA-Dites-moi, Fish, Doug, Tom… vous êtes bien entourées.
MARION-Et encore t’as pas vu Mallory.
CATHY-J’allais le dire… D’ailleurs Doug…
MARION-On se laisse du temps.
CATHY-C’est mauvais ça.

Le sujet de conversation rend Elina un peu distraite. Elle regarde autour d’elle, se lève et commence à débarrasser sans que ses invitées s’en rendre compte.

MARION-Le pire c’est que je ne me sens pas coupable de tout ça.
CATHY-Et lui non plus.
MARION-Ca n’a jamais été un garçon qui fait voir ses sentiments.
CATHY-Tout le contraire de Tom…
MARION-Oui…
CATHY-D’ailleurs faut que je te raconte le coup qu’il m’a fait.
MARION-Raconte ma fille.
CATHY-Il m’a embrassée.

Marion ne réagit pas, ou alors trop, en restant bouche bée, sans réaction. Elina revient et la voit dans cet état.

ELINA-Marion ?
MARION-C’est pas vrai !?
CATHY-J’avoue que… l’idée m’avait traversé l’esprit.
MARION-On parle bien du même Tom ? Et de la même Cathy ?
CATHY-J’ai aussi du mal à le croire.
MARION-Je me suis toujours demandé s’il y avait eu quelque chose entre vous comme avec Laura, mais là au final ça me surprend. Il pensait à quoi ?
CATHY-En ce moment, on traverse tous une période de flottement et lui, ça lui a été fatal ou profitable.
MARION-Tu penses que ce n’est pas réfléchi ?
ELINA-Croyez-moi un gars qui embrasse, c’est réfléchi et ressassé ! Certes en un quart de seconde mais…
MARION-Elina, un homme a toujours des idées derrière la tête mais pour Tom c’est…
CATHY-Laura ne le sait pas.
ELINA-Laura ? La blonde c’est ça ?
MARION-Oui enfin la brune maintenant, quoiqu’on ne sait plus très bien.
CATHY-Le pire c’est que...
MARION(la coupant)-Le pire c’est que tu as presque eu la même idée. Mince Cath’, je ne te vois pas du tout avec lui… enfin je te vois mal réfléchir à cette idée ! C’est un mec instable.
CATHY-Tu crois vraiment ? Tu exagères.
ELINA-J’ai l’impression que ce Tom est vraiment spécial.
MARION-Tout ce qu’on t’a dit est vérifié et prouvé. Mais je suis sûr qu’au fond de lui, il est un gars bien. D’ailleurs… je pense tout le contraire de Doug… je sais pas mais… j’ai toujours eu peur qu’il me dise quelque chose de…
ELINA-Doug ? Non c’est…
MARION-Tu le connais pas mais je sui certain qu’il pourrait me détruire en une phrase.
ELINA-Je ne le connais pas.
MARION-Un peu quoi !

Elle lui sourit mais Elina rit jaune.

CATHY-Et j’étais énervée tout à l’heure car… ça m’embête un peu de tout déballer devant toi Elina.
ELINA-Pas de soucis, je peux aller ailleurs.
CATHY-Non, non on est là pour se détendre, parlons d’autre chose !
MARION-Demain on va enfin savoir ce qu’on va devenir…
CATHY-Tu te soucies des résultats ?
MARION-De la discussion que j’aurai avec Doug aussi.
ELINA-Vous pouvez pas arrêter parler de Doug ou d’autres ? Je vais aller chercher des bières et on va passer une bonne soirée.

Elle se lève sans attendre la réponse des filles. Cathy est surprise mais ne bronche pas.

CATHY-Ça va faire un moment que j’ai pas bu d’alcool.
MARION-Ça peut que nous faire du bien…

Elles se regardent toutes les deux et sortent un « Naaaan ! » simultané.

RUE
Tom porte le sac de Laura. Elle flâne devant quelques vitrines.

TOM-Tu ne peux rien rajouter dans ton sac, n’insiste pas.
LAURA-Il me faut un maillot de bain non ?
TOM(voix off)-C’est pas possible ça, c’est un rêve ?
LAURA-Tu m’as toujours pas répondu.
TOM-Oui mais je m’y connais pas je sais pas nager.
LAURA-Je te parlais des vacances patate, tu viens ?
TOM-J’ai bien envie de bosser cet été.
LAURA-Ah oui ?
TOM-Il y a un temps pour tout et je suis fatigué du temps que j’ai passé à stagner. Avançons.
LAURA-Tu dis ça tous les ans, non ?
TOM-Plus je retarderai l’échéance, moins je m’en sortirai. Faut penser que vous de votre côté, vous ne vous attendez pas. Je me trompe pas ?
LAURA-Et pourtant on se tourne encore tous autour.
TOM-Moins qu’avant. J’ai toujours l’impression que ça a été trop vite mais ça suit l’évolution logique… la fac nous a un peu tous séparés. Et finalement c’est…
LAURA-…la vie…
TOM-Rappelle-moi l’âge qu’on a pour disserter sur la vie ?

Ils rigolent tous les deux.

LAURA-On arrive bientôt à la gare.
TOM-J’aime bien cet endroit, c’est là où tout commence, tout part ou tout change.
LAURA-Tu es déjà parti plus loin que St Amson ?
TOM-Non…
LAURA-J’ai envie de bouger, de voyager.
TOM-C’est pas avec des enfants et un mari que tu pourras le faire c’est ça ?
LAURA-Exactement.

Ils pénètrent dans la gare. Ils s’arrêtent devant le panneau géant avec des tas de destinations et autant d’horaires. Soudain, ils se mêlent avec les autres personnes, ils ne sont qu’éléments du décor. Que serait une gare sans voyageurs ?

LAURA-14h15… voie 15.
TOM-Je pars avec toi.
LAURA-Quoi ?
TOM-Non c’était pour voir ce que ça faisait…
LAURA-De prendre une décision ?
TOM-Rho ça va…
LAURA-Non mais sans déconner, viens !
TOM-J’ai rien !
LAURA-On s’en fout. C’est l’aventure. Un peu de folie, ça te ferait du bien.
TOM-C’est tentant mais… j’ai pas pris de billet je te signale.
LAURA-Ca peut s’arranger.
TOM-Non sérieusement je… non.
LAURA-Ca aurait pu être marrant.
TOM(voix off)-Ca aurait pu être la chance de ta vie.
LAURA-Bon… j’ai pas mangé, ça te dérange pas si…
TOM-Non vas-y, je garde ton sac…

Laura s’éloigne vers une sandwicherie.

TOM(voix off)-Partir c’est mourir un peu… mais pourquoi ? Celui qui reste n’est-il pas celui qui veut se faire oublier ? Depuis 10 ans je tente d’exister auprès des autres. Le fautif serait plutôt celui qui reste… qui ne suit pas. Il y a des gens dans ma vie… mais suis-je dans la leur ?

*

ROUTE
La voiture accroche le gazon aux abords de la route. Dans un petit nuage de poussière, elle s’arrête près d’un arbre. Fish en sort, suivi de Lorraine.
Il s’avance vers l’arbre qui domine une petite vallée. Il regarde l’horizon, prend une inspiration et soupire. Le soleil dore son visage souriant. Lorraine apparaît derrière lui.

FISH-Tu ressens quoi ?
LORRAINE-Pas grand chose.
FISH-La nature, bordel ?. La chaleur, la liberté.

Il ferme ses yeux.

LORRAINE-S’il suffisait d’être sur de l’herbe pour être libre, on en fumerait moins.
FISH-J’ai jamais touché à ça.
LORRAINE-Tu plaisantes ? Et la fois où…
FISH-Pas de quoi rire au contraire. Pas d’artifice pour moi. Dans mon souvenir je n’ai rien fumé.
LORRAINE-Il faut au moins essayer une fois pour voir ce que ça fait.
FISH-Voir quoi ? Tu n’es plus toi-même. A quoi ça sert de ne plus être soi et d’être heureux ? Ça prouve qu’on ne cherche pas à changer. Tout ça c’est pour les faibles d’esprit.
LORRAINE-Mais essayer !
FISH-Tu as essayé d’être saoule ? C’est la même chose, finalement.
LORRAINE-On est jeunes.
FISH-On est faible d’esprit. L’excuse la plus minable. La jeunesse est fragile. Autant essayer ça plus tard.
LORRAINE-TU as fumé ou quoi ?
FISH-Je te parle à cœur ouvert. C’est l’heure de se réveiller, de trouver un but à notre vie. Je m’entête avec Cathy, je dois me réveiller.
LORRAINE-Me dis pas que tu es encore sur elle ? Et si tu te taisais et qu’on profitait du silence ?
FISH-Lorraine, Tu es la seule qui a osé me harceler jusqu’à la pitié. Pourquoi moi ? On s’est croisé plusieurs fois dans notre vie…
LORRAINE-La pitié ?
FISH-On est ce qu’on refuse d’être.
LORRAINE-Tu deviens philosophe quand tu pointes le nez dehors toi.
FISH-Passons aux choses plus concrètes.

Il quitte sa cellule de pensée pour rejoindre le coffre de sa voiture. Il l’ouvre et en sort un sac.

LORRAINE-Qu’est-ce que c’est ?
FISH-Une partie de moi.
LORRAINE-C’est dégueulasse !

Il sort de son sac quelques papiers.

FISH-Donne-moi ton feu.
LORRAINE-Explique.
FISH-C’est cliché mais… j’ai envie de brûler les choses qui me rappellent un certain passé.

Il s’accroupit, réunit quelques pierres et branches et dépose une à une ses feuilles.

FISH-Mon relevé de notes de ce semestre…

Il le jette.

FISH-Mes résultats d’analyse médicale…

Il les jette

FISH-Une photo de Cathy et moi ratée.

Il la jette.
Il tend la main vers Lorraine qui comprend vite qu’elle doit donner son feu. Il allume la première feuille et le feu commence peu à peu à prendre vie.
Lorraine contemple ce mini-feu. Elle a soudain l’envie d’aller chercher quelque chose dans la voiture. Elle ouvre la portière, fouille dans ce qu’il semble être son sac. Fish la regarde, intrigué. Elle revient avec quelque chose dans la main.

LORRAINE-J’ai moi aussi quelque chose à faire oublier…

Elle présente un paquet de cigarette et son agenda.

LORRAINE-Il est temps d’arrêter…
FISH-Et l’agenda ?
LORRAINE-Il est temps d’arrêter aussi.
FISH-Quoi ?

Lorraine avance vers Fish et l’embrasse.

LORRAINE-Les rendez-vous avec n’importe qui, les anniversaires ou les fêtes à ne pas oublier…
FISH-A quand la maison et les enfants gardés par la nounou ?
LORRAINE-A quand un travail ?

Le téléphone de Fish se met à sonner dans la voiture. Il vient pour décrocher.

FISH-Mallory ?
MALLORY-Enfoiré, tu es où ?
FISH-Te dire où exactement, j’aurai peut-être du mal. Mais je suis… pas à St Amson.
MALLORY-Je fais comment moi ?
FISH-Tu es parti sans elle, alors je me suis dit…
MALLORY-Tu reviens quand l’affreux ?
FISH-Avant demain.
MALLORY-T’es tout seul ?
FISH-Non.
MALLORY-Hum… ok… bon… passe-lui le bonjour.

Il raccroche. Fish se tourne vers Lorraine.

FISH-Mallory.
LORRAINE-On doit rentrer ?
FISH-Même s’il me l’avait demandé, tu crois que je l’aurais fait ?

APPARTEMENT D’ELINA
Les filles rigolent de bon cœur. Elina est désinhibée. Marion est inerte et Cathy rit.

CATHY-Bon elles viennent ces bières ?

Elles rigolent.

MARION-Il est où le strip-teaseur ? On a pas ça ici ?
CATHY-Tu sais, ça serait pas une mauvaise idée.
MARION-Je veux bien demander à Doug mais ça vous plairait peut-être pas.
ELINA-On en a vu assez…
MARION-Hein ?

Marion oublie vite la phrase révélatrice de sa compère.

ELINA-Bon et si on se calmait…

GARE
Tom et Laura sont assis l’un à côté de l’autre sur les bancs à disposition. Le monde ne désemplit pas.
Laura termine son sandwich.

TOM-Pourquoi les filles mettent un temps fou à finir un sandwich alors que je pourrais en manger deux dans le même temps ?
LAURA-Les mecs font tout deux fois plus rapidement.
TOM-C’est pas faux.
LAURA-Il est bientôt l’heure.
TOM-Tu dis ça sur un ton qui voudrait dire « c’est l’heure des adieux ».
LAURA-Qui sait…
TOM-Tu arrives à quelle heure ?
LAURA-19 heures.
TOM-Tu as pris de la lecture j’espère.
LAURA-Des potins de quoi tenir le trajet.
TOM-En parlant de potins.. tu en aurais pas ?
LAURA-Sur qui ?
TOM-Cathy, Fish… Marion…
LAURA-Marion ça fait un bail, Fish, aucun, il traine avec Lorraine. Cathy non rien de spécial, ç part son collègue qui lui plait.
TOM-Ah oui ?
LAURA-Enfin… ça date.
TOM-Et ton cher et tendre ex ?
LAURA-Je verrai bien en feuilletant mes magazines…
TOM-Alors tu verras les miennes, d’ex.
LAURA-Tom je vais être franche…
TOM(voix off)-Oh merde…
LAURA-Je veux pas qu’on perde contact.
TOM(voix off)-Ouf… ouf ?
LAURA-Je serais déçue de… ne plus avoir à faire avec Thomas Whitman.
TOM-Ah mais… pas de soucis en fait je… je suis pour ce genre de choses. Je m’attache facilement aux gens et… que certaines personnes deviennent juste des souvenirs, ça m’embête. Même si j’ai le numéro de téléphone… on se dit toujours « j’vais les appeler… demain » et au final on a peur de se retrouver avec quelqu’un qui vous a oublié.
LAURA-Tu as le don de… rendre les choses de la vie tellement… tristes.
TOM-Non pas tristes… vraies.
LAURA-Je… dois y aller.
TOM-Ok…

Ils arrivent près du train qui accueille nombre de passagers. Ils ne disent rien, ou alors des banalités du genre…

TOM-J’espère que tu seras pas à côté d’un chieur.

Ou…

LAURA-J’espère que le train n’aura pas de retard.

Que d’espérances en somme pour un voyage bien normal au demeurant.
Laura s’apprête à monter dans le wagon. Tom lui donne son sac. Ils se regardent, se sourient. Laura se décide à le prendre dans ses bras. Tom est un peu surpris mais passe aussi ses bras autour d’elle. C’est la seule étreinte qu’ils ont pu avoir depuis un bon moment. Celle-ci est véritable et sincère.

TOM-Reviens-nous vite.
LAURA-Mon invitation tient toujours.

Ils s’éloignent. Elle remonte à l’intérieur du wagon. Tom la voit entrer vers les sièges, elle en choisit un rapidement, s’assoit et fait au revoir de la main. Tom fait de même. Le train ne tarde pas à fermer ses portes, les derniers voyageurs pressés… d’en finir avec leur dernière cigarette, se démènent.
Les portes se ferment, le train avance. Tom reste là, il reste le regard dans le vide, il ne veut pas croiser les yeux de Laura plus de deux secondes. Il attend un dernier instant avant de lui faire un ultime mouvement de main. Elle fait de même.

Dans le wagon, Laura se remet dans son siège, elle soupire, le regard perdu. Sur le quai, Tom se retourne et se dirige déjà vers la sortie. N’y a-t-il pas eu un sentiment d’inachevé dans tout ça ?

ROUTE
Fish et Lorraine ont repris la route. Ils chahutent un peu et manque de se faire klaxonner par un conducteur.
LORRAINE-Finalement… ça nous a servi à quoi tout ça ?
FISH-Ça nous a défoulé… on en avait besoin.
Silence.
LORRAINE-J’ai une question… si tu voulais oublier le passé… pourquoi tu as brûlé une photo qui était ratée ?

Mallory ne répond pas. Lorraine n’en attendait peut-être pas plus.

RUE
Tom marche sans réelle destination. Cathy lui avait raccroché au nez, Laura était partie, il ne restait plus grand monde.
Il prend son téléphone et appelle Marion.

De son côté, Marion entend à peine le téléphone mais elle arrive tant bien que mal à décrocher.

TOM-Salut !
MARION-C’est qui ?
TOM-Thomas…
MARION-Ah, salut…
TOM-T’es… saoule ?
MARION-Un peu pompette, moi et l’alcool…
TOM-O…k…
MARION-Et les filles c’est Tom !

Cathy qui rigolait jusqu’à présent, fait tout de suite on de la tête à Marion.

MARION-Ah bah apparemment elle veut pas te causer.
TOM-Qui ça ?
MARION-Tu voulais quoi ?
TOM-Des nouvelles…
MARION-Tout va bien… (elle reprend un peu son sérieux) J’ai pas parlé à Doug, il devrait m’appeler demain pour les exams… comme ça peut-être que j’aurai deux mauvaises nouvelles en même temps !
TOM(gêné)-Faut pas dire ça…
MARION(rigolant)-Bon on se dit à demain comme prévu ?
TOM-Ah tu te souviens de ça ! Oui pas de soucis. Dis-moi t’es avec qui là ?
MARION-A demain !

Elle raccroche.
TOM(voix off)-D’un coup, je me considérais comme la personne la plus abandonnée de la planète. Sentiment que j’ai, bizarrement, que très peu ressentie ces derniers temps. Alors que je m’imaginais des choses à la JD, ou que je réfléchissais à ces mêmes choses à la Dawson, je me sens maintenant comme un personnage secondaire de ma vie. Je pensais d’avantage aux autres qu’à moi… Je suis certes abandonné mais je ne pensais pas à moi… Incohérent, oui… Pourtant je d… Qu’est-ce que c’est ?

Tom est brusquement arrêté dans sa digression par la découverte dans sa poche d’un morceau de papier. Intrigué, il le déplie et lit un message de Laura.
« Si tu veux savoir ce qu’il s’est passé fut un temps… lapagedelaura.skyblog.com. Bise. »

TOM(voix off)-Alors d’une chose l’une, je ne vais pas chipoter, mais j’aurais préférer un « bisous » plutôt qu’une « bise », et d’une autre… un skyblog ?

Alors que Tom reste devant ce petit bout de papier, Cathy regarde sa montre et découvre qu’elle devrait déjà être de retour au boulot. Elle prend rapidement son manteau, boit un verre d’eau pétillante, se secoue la tête et remercie ses hôtes.
Laura met son casque sur ses oreilles, penche la tête vers la vitre et ferme les yeux.
Tom passe devant un cybercafé. Il s’arrête, tient toujours le bout de papier, et décide de rentrer.
Cathy arrive à son travail en trombe. Elle dit bonjour à la réceptionniste et file vers le bureau. Par chance personne n’y est.
Lorraine conduit mais jette un œil vers Fish qui dort tranquillement.
Doug est dans une réunion. Il est pensif.
Cathy travaille sur un dossier. Melinda arrive et lui donne une série de feuilles anarchiquement reliées. Apparemment, tout est à refaire. Cathy soupire.
Tom sort du cybercafé, il sourit. Il semble aussi ému.
Laura est réveillée par le contrôleur. Le billet rendu, elle aperçoit un couple qui s’enlace quelques sièges plus loin.
Doug revient à son bureau, il prend son téléphone et hésite à appeler.

Le lendemain matin, dans une faculté, un homme vient afficher quelques feuilles sur les vitres.
Au même instant, Tom sort de chez lui, Marion est en train de prendre son petit déjeuner, la tête ailleurs, Laura boit un verre de jus d’orange sur la terrasse d’une habitation, Cathy se réveille.
Elle prend son téléphone. Elle a reçu un message de Tom lui disant de prendre sur elle si les résultats sont négatifs… bien entendu sous le ton de l’humour. Cathy réagit plutôt bien au message. Sa grise mine se transforme en mine souriante.

TOM(voix off)-Le hasard fait bien les choses… quand ça nous arrange… Le hasard nous ressemble disait Bernanos. On est construit par tout ça, il n’y a pas de plan... ou alors il est tellement brouillon… que le simple fait de répondre à quelqu’un, de tendre une main ou de sourire est un hasard tout à fait salvateur. Certaines fois, il arrange les choses, d’autres fois, il n’est là que pour rappeler que quoiqu’on fasse, quoiqu’on dise… il y avait toujours une autre solution…

Cathy est sur la route de la fac, Marion également. Laura est sur la plage.

CATHY/ MARION/LAURA(voix off)-Je peux pas lui en vouloir…

Tom attend à un feu, Elina est assise sur son lit, à peine réveillé. Doug met sa veste pour aller travailler.

TOM/ELINA/DOUG (voix off)-Il faut leur dire…

Quelque part sur une route quelconque, une voiture est sur le bas côté. L’accident semble violent.